Jn 6, 60-69
Au diable l’audimat !
Par le Père Pierre Abry,
« Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais. Et même, le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. » (Jn 6, 51) La prédication de Jésus à Capharnaüm suscite chez les juifs murmure, forte discussion et s’achève en scandale. Même parmi les disciples, « beaucoup dirent : ‘Elle est dure cette parole ! Qui peut l’écouter ?’ Beaucoup se retirèrent et n’allaient plus avec lui. » L’audimat en chute libre, Jésus interpelle encore les Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? »
Jésus ne cherche pas à plaire, par névrose conformiste. Il ne cherche pas non plus à déplaire par provocation gratuite comme les perpétuels insoumis. Non, il est la Parole du Père qui, dans une chair semblable à la nôtre, rend témoignage à la Vérité de l’Amour. Cet enseignement ne se comprend qu’en saignant soi-même, en donnant sa propre chair et son sang, sous la motion agissante de l’Esprit Saint. La chair qui ne cherche que sa gratification et sa préservation ne peut le comprendre. « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. »
Jésus lie ce scandale à un second, à venir et plus grand encore. « Cela vous scandalise ? Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant ? » En effet, il était « sorti » Fils Unique de Dieu pour prendre chair ; il « revient » au Père, Fils de l’homme, porteur de tous ses frères dont il assume l’humanité et qui vivent en Lui par la foi. L’Église est ce Corps en continuelle ascension vers le Père à travers les siècles. Alors, qu’est ce Pain de Vie offert à la foi ? Comment cette Parole dite dans la chair est-elle Esprit et Vie ?
Notre chair puise dans les aliments, les nutriments nécessaires à sa subsistance. Cela est nécessaire, vital même, mais s’achève en terre, lorsque la chair n’est plus « animée ». L’âme, la vie personnelle de chacun, a son aliment spécifique, la nourriture qui lui est proportionnée, l’Esprit « créateur de vie », l’Esprit qui vivifie. Se nourrir du Corps du Christ, à la fois sacramentel et ecclésial, pour que ma chair devienne chair de sa chair ; s’abreuver du Sang du Christ, de la Vie qui l’anime, pour qu’elle soit vie de ma vie, c’est goûter de Sa vie éternelle. Nous devenons Celui que nous recevons ; nous sommes transformés en Celui à qui nous communions, à la foi personnellement et ecclésialement. Notre corps devient son Corps et nous devenons son Corps ecclésial ; notre vie devient sa Vie, au point de nous laisser rompre comme un pain pour les frères, de donner notre vie comme un sang versé. Une fois encore, ce n’est qu’en saignant que cet en-saignement se comprend.