Lc 14, 25-33
Grammaire évangélique
Par le Père Pierre ABRY,
La grammaire est la « première partie de l’art de penser. » (Condillac) « Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme… et même à sa propre vie, il ne peut être mon disciple. » Ni l’araméen que parlait Jésus, ni l’hébreux ne connaissent le comparatif. « Aimer Jacob plus qu’Ésaü » se dira : « J’ai aimé Jacob, mais j’ai haï Ésaü. » (Ml 1, 2) Pourquoi donc Luc, qui écrit en grec, langue qui connaît le comparatif écrit-il littéralement « sans haïr son père … » ? Aurait-il moins bien compris le Seigneur que nos traducteurs qui, par peur de heurter édulcorent en « sans me préférer à… »
L’amour n’est ni comparatif, « préférer à… », ni quantitatif, « aimer plus… », il est qualitatif : on aime ou pas. Une mère aime tous ses enfants, mais chacun d’un amour particulier. Le faible sera aimé comme celui qui réussit aisément, mais d’un amour combien particulier ! L’amour est l’amour, mais il a une qualification propre, selon son ordre et la vocation propre de chacun. Le péché est toujours un amour désordonné. Eh bien, le Seigneur demande à être aimé comme tel ! Ni plus ou moins qu’autre chose, ni préféré, mais aimé selon son ordre propre, aimé comme le Seigneur. Luc est donc fidèle en opposant « aimer Jésus » et « haïr tout le reste », liens d’affection les plus chers et bien matériels. Jésus demande de l’aimer avant tout, de l’aimer car il est Dieu, d’aimer l’Amour.
Maintenant assieds-toi pour calculer. Si tu n’aimes pas le Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force, lorsque tes moyens propres viendront à manquer pour construire, lorsque tes forces viendront à manquer pour mener la bataille quotidienne, lorsque le père, la mère, la femme, les enfants…, et même ta propre vie ne seront plus aussi aimables qu’ils ne l’étaient auparavant, que feras-tu ? Tu délaisseras la construction commune ; tu abandonneras la bataille ; tu les haïras de cette haine humaine odieuse, pour n’avoir jamais aimé le Seigneur comme il doit l’être ! Mais si tu aimes Jésus comme le Seigneur, alors par amour de Lui, dans la foi en sa parole, dans l’espérance en sa promesse, dans la puissance de son amour répandu en ton cœur, tu pourras prendre ta croix et le suivre, jusqu’à aimer ceux qui ne sont plus aimables, vers une pâque de résurrection.
Calcule, scrute l’intention profonde de ton cœur. Veux-tu être disciple ? Jésus n’a pas adressé cette parole aux seuls apôtres, ou à une élite religieuse, mais à la foule. La grammaire évangélique, pour pauvre qu’elle puisse paraître aux yeux de la française, ne tolère pas, elle, d’exception qui confirme la règle !