Mc 8, 27-35
Tirer Dieu à soi
Par le Père Pierre ABRY,
Au baptême par Jean dans le Jourdain, l’Esprit Saint était descendu sur Jésus et la voix du Père l’avait désigné comme le « Fils bien-aimé ». Jésus conduit ses disciples aux sources de ce Jourdain et nous aussi à la source même de la foi, faisant retentit la question : « Pour toi, qui suis-je ? » Pierre le confesse « Messie ». Mais Celui qui enverra ses apôtres l’annoncer au monde entier, interdit pour le moment « de dire cela à qui que ce soit à son sujet. » En effet, tous attendent le Messie et chacun projette ses attentes dans un Messie. Aussi Jésus commence à leur enseigner comment il entend être Messie : « Il doit souffrir, être rejeté, tué et après trois jours ressusciter. »
Pourquoi donc ce « Il doit… », cette nécessité de la souffrance et de la mort ? Parce qu’elles sont inéluctables, inhérentes à l’existence dans un monde qui a rejeté Dieu et est en proie au mystère du mal. On peut chercher par tous les moyens à y échapper, on n’en réchappera pas… Comme Pierre, nous sommes scandalisés par ce mystère d’iniquité, pierre d’achoppement qui nous fait trébucher. Pierre confesse des lèvres le Messie, mais « tire Jésus à lui » pour lui dire comment il doit l’être. Tous nous « tirons Dieu à nous».
La dérive vers un christianisme sans Christ et un Christ sans croix est tentation constante. Face à la décomposition intellectuelle et culturelle de l’occident, un M. Onfray, auteur du Traité d’athéologie, défend aujourd’hui la civilisation chrétienne, mais un christianisme sans Christ. D’autres posent encore une adhésion théorique confortable, croyant à l’existence de Dieu, sans le moindre impact dans leur propre existence. C’est la foi des démons dont parle saint Jacques : « Tu crois qu’il y a un seul Dieu ? Les démons aussi le croient ! » (Jc 2,19) C’est la foi morte sans les œuvres, sans une relation réelle à la personne du Christ comme disciple, débordante d’amour pour les frères. D’autres encore « tirent le Christ à eux », se fabriquant un Christ sans croix. Lorsque celle-ci se présente inéluctablement, ils vivent leur croix sans Christ, comme le larron qui blasphème du fond de sa souffrance.
Jésus se tourne vers les disciples pour corriger Pierre, l’appelant de cheminer derrière et non devant lui. « Il appelle ensuite la foule à lui, en même temps que ses disciples » et dit à qui veut le suivre « qu’il se renie lui-même, prenne sa croix et le suive. » Le Messie devait entrer dans l’abîme de la souffrance et de la mort, inexorables et fatales, pour y être la puissance capable de les retourner, de les transformer en source de vie. C’est ce Messie qu’il nous faut attendre, désirer, rencontrer et confesser. Le seul qui sauve.