Lc 15,1-32
Le tout et la partie
Par le Père Pierre Abry
Dans les trois paraboles de la miséricorde, une drachme, une brebis ou un fils, du fait même d’être perdus, deviennent des réalités singulières et uniques : la drachme, la brebis, le fils perdus, dont la recherche inlassable ne s’apaise que dans la joie partagée d’être retrouvés. « Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue. » En effet, la perte d’une partie porte atteinte au tout, qui de fait ne l’est plus à cause de cette amputation. Chaque partie est essentielle au tout et irremplaçable, et le tout lui-même est plus que la simple juxtaposition de ses parties. Des mots à leur juste place constituent une phrase qui est bien plus que la somme de ses mots, elle fait et donne sens.
C’est pourquoi le pasteur laisse les 99 brebis pour aller à la recherche de celle qui est égarée. Ce n’est, ni préférence pour cette dernière, ni mépris des 99 autres, mais amour. Notre cœur cependant, à l’image du fils aîné, ne cesse de comparer, décèle des préférences, voit des injustices, jalouse et nourrit le murmure. A l’ouvrier qui a enduré la journée entière et s’indigne lorsque ceux de la dernière heure sont rémunérés autant que lui, le maître répond : « Pourquoi ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » (Mt 20,15)
Dieu ne fait pas acception de personnes. L’amour véritable aime sans distinction, de tout son amour, et donc chacun d’un amour singulier, particulier. L’amour n’est pas comparatif ou quantitatif, il est qualitatif, sous peine de n’en être qu’une parodie. L’égarement de la brebis contraint l’amour à sa recherche. La fête est une nécessité de l’amour, lorsque le prodigue revient à la maison du père. La joie de Dieu ne saurait être complète tant qu’un homme se perd. « On ne veut pas, chez votre Père qui est aux cieux, qu’un seul de ces petits se perde. » (Mt 18,14) En attendant que « le tout soit récapitulé dans le Christ » (Ep 1,10), « il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. »
Dans le tout de la création, seul l’homme s’est perdu en se coupant de Dieu, dépareillant ainsi l’ensemble du créé. « Adam, où es-tu ? » (Gn 3,9-10) Inlassablement, Dieu cherche l’homme perdu, dans un amour singulier pour chacun. A l’inverse, dans le tout de nos existences, une seule chose s’est perdue et cette perte disloque l’ensemble, prive le tout de son sens. La perte de Dieu fait de la vie une juxtaposition d’événements, incomplète et inachevée. L’Unique perdu, altère le tout de notre vie et fait du reste un assemblage disparate sans sens. Plus que de se cacher, de s’enterrer par peur dans la création, cherchons l’Unique manquant et seul capable de donner sens au tout d’une vie.