Mc 9, 30-37
Première, deuxième… dernière place
Par le Père Pierre ABRY,
Au cours d’une journée de marche du Tabor à Capharnaüm, loin des foules afin d’enseigner ses disciples, Jésus annonce une fois encore sa passion : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes, ils le tueront et après trois jours, il ressuscitera. » Eux ne comprennent pas ce langage et l’orgueil leur interdit d’interroger. Ils feignent d’avoir compris. Si la mort est une évidence pour l’homme, la résurrection lui est inconcevable. A l’annonce de la mort du maître, les apôtres sont préoccupés de savoir qui d’entre eux est le plus grand, le premier et prendra la succession ! Arrivés à Capharnaüm, sachant leurs cœurs agités par ces pensées « qui ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mc 8,33), Jésus demande délicatement : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » La honte, l’orgueil qui rougit d’être dévoilé, les laisse muets. Le fond mondain du cœur est révélé.
« Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Cette dernière place, le Christ l’a tellement chérie qu’il l’a pleinement occupée par amour, se faisant rebut de l’humanité, chargé du péché des siens. Il est « premier-né d’entre les morts ayant en tout la primauté » (Col 1,18) parce qu’il s’est fait le dernier de tous. Comme un enfant, en tout il s’est reçu de son Père.
Si la dernière n’est plus à prendre, la seconde place est toujours libre, car en tout l’homme cherche à prévaloir. La première place convoitée est un objet indéterminé, relatif, dont la seule caractéristique précise est d’être juste devant celle déjà occupée par un autre. Second de personne, l’homme ne tolère pas même d’être secondé ! La relation aux semblables en devient une rivalité mimétique, générant envie, violence et meurtre. La place de Dieu lui-même est convoitée depuis la Genèse faisant de la terre un enfer.
Plaçant un enfant au milieu des disciples, Jésus indique l’issue à l’engrenage infernal. « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et qui m’accueille, accueille Celui qui m’a envoyé. » Accueille l’enfant qui est en toi, celui que tu n’as plus voulu être en voulant devenir grand. « Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ; je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent. Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ; mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère. » (Ps 130) Non, on ne gagne pas sa vie, pas plus qu’on ne la conquiert. Elle s’accueille et se reçoit, comme un enfant. Devant la grandeur du don, nous aurons « assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à nous-mêmes » (Ph 2,3) et « rivaliser de respect les uns pour les autres. » (Rm 12,10)