Lc 16, 1-13
« Mamon d’iniquité »
Par le Père Pierre ABRY,
La parabole de l’intendant malhonnête laisse perplexe. Jésus ferait-il l’éloge d’un gérant véreux dans une affaire de fausses factures ? Par ailleurs, la traduction française du « Mamona d’iniquité » en « malhonnête argent », non seulement ferme le sens, mais nourrit notre moralisme suspicieux qui associe si facilement argent et malhonnêteté. Nous aussi, nous serons relevés un jour de notre gérance. Il n’estpas si sûr que nous ayons si bien géré le don de notre vie, mais aussi la « maison commune », la création et ses biens. « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1 Co 4,7) Pourquoi accaparer avidement comme un bien propre, ce qui t’a été confié en vue du bien commun ?
L’intendant est renvoyé pour sa mauvaise gestion, soit. Mais un temps lui est laissé pour rendre les comptes, comme à chacun de nous. La remise qu’il fait aux débiteurs de son maître n’est autre que sa commission, selon les pratiques de l’époque. Ce n’est donc pas la malhonnêteté que loue Jésus, mais l’habileté de cet homme à saisir le temps qui lui est laissé, pour tisser, avec le « Mamona d’iniquité », les liens d’amitié qui lui vaudront d’être accueilli, lorsqu’il sera relevé de sa gérance.
Le terme araméen « Mamona », peut être dérivé de la racine « emuna », la foi, le roc, ce qui est solide et ne vacille pas ; donc aussi de « amina », le « amen » de nos liturgies, qui signifie c’est vrai, c’est sûr. Nous voilà au cœur de la parabole et par la même, en notre propre coeur, où Mamon s’installe comme la valeur sûre et véritable, roc et fondement de l’existence, alors qu’il n’est que trompeur ! Où appuies-tu concrètement ton existence ? A qui donnes-tu ta foi, ta confiance réelle, ton « amen » ? L’opposition, dans la bouche de Jésus : « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent » devient limpide.
« Si pour le Mamon d’iniquité vous n’êtes pas dignes de confiance, qui vous confiera le bien véritable… le bien qui vous revient » ? Si nous détournons ce qui nous est donné pour créer des liens de générosité et d’amour, pour en faire un bien propre, une valeur refuge appui de notre existence, comment le Seigneur pourrait-il nous donner notre bien propre, l’Esprit Saint, la communion ? L’Église de la Pentecôte en était débordante : « La multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme. Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun. » (Ac 4,32) Les opportunités et les nécessités autour de nous ne manquent pas pour refonder notre existence.