Lc 16, 19-31
Le jour d’après
Par le Père Pierre ABRY,
Si l’interprète de Jules César au théâtre, rentré chez lui grisé après une représentation ovationnée continuait à jouer l’empereur, sa femme le ramènerait bien vite à la réalité. Comme les acteurs laissent au vestiaire leurs costumes de théâtre pour retourner à la vie réelle, ainsi à la mort, quand cesse la comédie de ce monde, nous laissons nos rôles d’emprunt, pour paraître ce que nous sommes en réalité. « Elle passe, la figure de ce monde. » (1Co 7,31) Riche et pauvre, sage et insensé « auront tous deux le même sort. » (Qo 2,14) Le Jour d’après révèle qui est chacun. En attendant, le seuil qui sépare le riche du pauvre Lazare appelle au passage. Le jour d’après, il deviendra abîme infranchissable et solitude glaciale.
Le drame du riche est de ne voir ni au loin, ni de près. Myope au-delà de sa jouissance immédiate, il est presbyte quant au pauvre à sa porte. Le théâtre de ce monde l’arrache au réel. Le décor de cette comédie, plutôt de ce drame, est planté dès le jardin de la Genèse. L’homme s’est laissé séduire au jeu de rôle proposé par le Scénariste trompeur : « Vous serez comme des dieux. »
Qui donc est ce Lazare dont le nom signifie « Dieu aide » ? Homme « sans beauté ni éclat pour attirer nos regards… objet de mépris… homme de douleur devant qui on se voile la face » (Is 53,2) Qui est-il, meurtri aux portes de la Ville Sainte, gémissant : « Des chiens nombreux me cernent, une bande de vauriens m’entoure pour déchirer mes mains et mes pieds » (Ps 22,17), alors que dans l’enceinte des murs, prêtres vêtus de lin et rois de pourpre font bonne chère ? La Cananéenne rappelle que « les petits chiens se nourrissent des miettes qui tombent de la table de leur maître. » (Mt 15,27) Lazare « aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche, mais les chiens eux-mêmes viennent lécher les plaies ! » Qui est ce Lazare « emporté par les anges dans le sein d’Abraham ? » De fait, « nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme, lui le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, et qui l’a fait connaître. » (Jn 1,18) « De riche qu’il était, il s’est fait pauvre, afin de nous enrichir par sa pauvreté. » (2 Co 8,9) Il est le Christ-Lazare « dont la meurtrissure nous a guéris. » (1P 2,24)
Lazare, « Dieu aide », le pauvre certes, mais aussi le riche, à travers le pauvre. Lazare est ce pont qui appelle à franchir le fossé, avant qu’il ne devienne un abîme. C’est maintenant, le jour d’avant, qu’il faut s’y engager. Lazare est le Christ identifié au pauvre et au méprisé, depuis le seuil de l’utérus jusqu’à la porte de la maison de retraite. « Ce que vous aurez fait au plus petit, c’est à moi que vous l’avez fait. »