Lc 9, 28-36
Être ou paraître : That’s the question
Par le Père Pierre ABRY,
Chaque année, le premier dimanche de carême nous conduit au cœur de la dramatique humaine : appel à la plénitude de l’amour filial et fraternel, et constat d’un combat qui bien souvent nous jette à terre. Le commandement de l’amour avait été gravé dans la pierre au Sinaï, donné par Moïse au peuple, rappelé inlassablement par les prophètes, dont Elie : « Écoute Israël ! Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. » La seconde table de la Loi est semblable à la première : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Entendre ces paroles de vie, gravées dans la pierre, nous réjouit, car elles répondent au désir profond du cœur de tout homme. Mais les écouter, en vivre dans l’obéissance à la Parole, est hors de notre portée. Ceux qui prétendent les accomplir, lapident les autres de ces mêmes pierres. Dès lors se présente le Tentateur : « Si tu es Fils de Dieu, dis que cette pierre devienne du pain ! », ajuste la Parole à ta mesure, à ton discours, à tes capacités, que la pierre de la Loi devienne enfin un pain mangeable !
Le deuxième dimanche de carême nous met en présence du Christ transfiguré sur le mont Tabor, entouré de Moïse et d’Elie, de la Loi et des prophètes. Il s’entretenait avec eux de son Exode, son passage de ce monde à son Père, qui devait s’accomplir à Jérusalem. La voix du Père se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, l’Élu, écoutez-le. » Écoute ! Le même appel retentit au Sinaï et sur le Tabor. Mets-toi à l’écoute du Christ, Fils bien-aimé du Père. Désormais, « il ne reste plus que lui, seul ». Moïse et Elie, la Loi et les prophètes ont trouvé en lui leur accomplissement. En lui, la Parole n’est plus gravée dans la pierre, mais dans une chair semblable à la notre. Il fera de cette chair le Pain véritable, dans le sacrement de sa Pâque, l’eucharistie.
Nourris de ce pain de vie, du Christ lui-même, vivant notre existence en communion avec lui, l’Esprit grave le commandement de l’amour en nos cœurs de pierre, qui en deviennent des cœurs de chair. De même que sur le Tabor, la nature humaine assumée par Jésus laisse transparaître sa divinité, ainsi commencera à transparaître, dans les plaines de notre pauvre nature humaine, la divinité des fils adoptifs qui nous est donnée par l’Esprit. Être ou paraître : telle est la question ! Le carême nous conduit à la racine de notre être en Christ, pour le laisser transparaître sur les frères.