Mc 10, 46-52
« Le voir, de face, ou de dos … »
Par le Père Pierre ABRY,
« Comme s’accomplissait le temps où il devait être enlevé, Jésus prit résolument le chemin de Jérusalem », littéralement, il « tourna fermement sa face vers Jérusalem. » (Lc 9,51) Trois fois l’an, lors des fêtes de pèlerinage, le juif pieux monte vers la ville sainte, pour se présenter « devant la face du Seigneur ». Jésus y monte pour « faire face » à son destin, entrant dans l’ignominie de la mort, afin que nous soit révélée la « face », le visage du Père. Le premier Adam est advenu à l’existence, dans un face-à-face avec son créateur qui lui insufflait, comme en un baiser, le Souffle de Vie. Le face-à-face avec la mort conduira, dans le secret de la nuit pascale, au face-à-face de la création nouvelle, où le Fils Bien-aimé, ayant assumé la nature humaine qui tourne le dos au créateur, se recevra du Père comme un ressuscité.
L’aveugle Bartimée se trouve au plus bas de l’humanité, à Jéricho, mais sur le chemin de cette montée vers Jérusalem. Toi, moi, assis au coin de la vie comme d’une rue passante, mendiant quelques piécettes d’amour et de reconnaissance pour survivre au jour ; aveugles sur la réalité qui nous entoure et sur nous-mêmes, aveugles sur notre propre aveuglement ! Lui au moins crie, prie : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! »
A Moïse déjà qui avait supplié : « Fais-moi de grâce voir ta gloire », le Seigneur avait répondu : « Tu ne peux pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre… Mais je ferai passer devant toi toute ma beauté et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que je sois passé. Puis j’écarterai ma main et tu verras mon dos ; mais ma face, on ne peut la voir. » (Ex 33,18-23) Le Seigneur passa devant lui et il cria : « Yahvé, Yahvé, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité… » Ainsi, tout en voilant sa face, Dieu accorde à Moïse de voir sa miséricorde.
Sous l’humanité assumée du Fils, c’est la face voilée du Père miséricordieux qui passe par Jéricho. Tout en se voilant, il se révèle. Crie, prie, « confiance, lève-toi, il t’appelle ! » « Aussitôt l’homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin. » Celui qui suit est tourné vers le dos de celui qui le conduit. Voir Dieu, c’est suivre le Christ en disciple, voir son dos qui a reçu le fouet et la croix de mes péchés, voir la miséricorde du Père. Craignons le jour où nous le verrons de face, si nous n’avons pas retrouvé la vue, en voyant le dos de sa miséricorde.