Lc 18, 9-14
Pharisiens et publicains de toujours
Par le Père Pierre ABRY,
« Le Seigneur du ciel et de la terre, n’habite pas des temples faits de main d’homme. » (Ac 17,24) L’homme lui-même, créé à son image et ressemblance est lieu de sa présence. Plus encore le chrétien : « Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1Co 3,16) Aussi, les deux hommes qui montent au Temple pour prier, l’un pharisien, l’autre publicain sont deux postures qui alternent ou même cohabitent en chacun de nous, dans le sanctuaire de l’intériorité. Tantôt, conscients de notre réalité profonde, nous implorons humblement miséricorde comme un débiteur insolvable (Mt 18,26) ; tantôt, illusionnés sur nous-mêmes, en pharisiens aveugles et imbus, nous démasquons la paille dans l’œil du frère (Mt 7,3) et jugeons impitoyablement.
Cette pathologie religieuse n’est cependant pas l’apanage des croyants. Elle caractérise tout groupe de personnes « reliées », sens originel du mot « religio ». Cette bipolarité suinte de nos sociétés laïques, où tant de causes lient et relient des hommes en réseaux érigés en quasi religions, offrant un visage moderne au pharisien et au publicain. Le néopublicain a profité du système pour jouir et s’enrichir, au détriment des autres et du créé. Lorsque sa conscience ne s’en accommode plus, il se réveille néopharisien. Dans le temple du consumérisme, il jeûne de ceci ou de cela. Il est sans viande, sans gluten, sans huile de palme, mais jamais sans orgueil ajouté ! Toujours, il se perçoit différent et supérieur aux autres considérés méprisables et ostracisés. Il redécouvre même la méditation. Il prie « en lui-même », prière close sur elle-même, dont il est l’origine, le centre et la fin. Il se penche pathétiquement sur le sort du poisson rouge dans le bocal, tout en manipulant allègrement la vie dans l’utérus de la mère. Il s’élève, s’allonge en durée de vie, s’augmente artificiellement en capacités. « Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »
A poursuivre sa propre perfection, on manque le but véritable. On n’y trouve pas Dieu, on en est même vide, étant plein de soi-même. Paul, pour avoir été pharisien, démasque la vanité de l’attitude : « Ne prends pas, ne mange pas, ne touche pas… prescriptions et doctrines humaines ! Elles font figure de sagesse par leur affectation de religiosité et d’humilité qui ne ménage pas le corps, mais en fait, elles n’ont aucune valeur pour l’insolence de la chair. » (Col 2,23) Mais celui qui s’abaisse à reconnaître sa radicale pauvreté, celui-là seul se dispose à laisser la perfection de l’amour de Dieu le justifier. Sa vie même, reçue en don de grâce et retournée en action de grâce, en devient une liturgie, le culte véritable, « l’offrande vivante, sainte, agréable à Dieu. » (Rm 12,1)