Lc 19, 1-10
Incision de la miséricorde
Par le Père Pierre ABRY,
Collabo enrichi sous l’occupation romaine, collecteur d’impôts, petit de taille, Zachée a tout pour susciter le mépris. On ne l’a jamais regardé que de travers… Il a entendu parler de Jésus, il veut désormais voir, car même au cœur d’un pécheur public, l’aspiration à l’amour véritable ne saurait être totalement étouffée. Un ficus sycomorus offre ses larges racines comme marchepied pour prendre de la hauteur. Cette variété donne, quasiment tout au long de l’année, un fruit immangeable, car immature. Cependant, l’incision de ces figues libère leur amertume et provoque un mûrissement accéléré en deux ou trois jours, multipliant le volume du fruit. C’était le métier d’Amos : « Je ne suis pas prophète ; je suis bouvier et pinceur de sycomores. » (Am 7,14)
Zachée est à sa juste place, sur ce ficus sycomorus, comme une figue âpre, astringente, immangeable. De son cœur il n’est sorti qu’amertume, âpreté au gain, mépris des autres. « Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux. » Comme une figue, Zachée est incisé par le regard de la Miséricorde. Alors qu’une foule suit Jésus, lui seul est regardé, appelé par son nom, interpelé : « Zachée, descends vite : aujourd’hui il me faut demeurer dans ta maison. » Il le faut, c’est une nécessité d’amour pour Jésus, une nécessité vitale pour Zachée. Incisé par ce regard d’amour, son cœur libère son amertume et se dilate en capacité d’aimer, jusqu’à faire don aux pauvres de la moitié de ses biens, et rendre au quadruple ce qu’il a extorqué injustement. Ce même regard s’est posé sur le jeune homme riche : « Jésus fixa sur lui son regard et l’aima. » (Mc 10,21) Mais il n’a pu percer un cœur étouffé dans l’attachement aux biens et endurci dans l’illusion d’accomplir les commandements. Ce jeune homme « s’en alla tout triste », Zachée, lui, « reçut le Seigneur avec joie. » Ce même regard de miséricorde s’est posé sur Pierre reniant. « Le Seigneur, se retournant, fixa son regard sur Pierre… et sortant, Pierre pleura amèrement. » (Lc 22, 61-62)
Ce regard de miséricorde est celui de Dieu sur chacun de nous, collecteurs de taxes et collaborateurs de l’Occupant de ce monde. En toute chose nous cherchons notre quota d’amour, de considération, de gratification, de reconnaissance, imposant aux autres comme une TVA, une Taxe sur la Valeur Amour. Le Christ est mort pour nous libérer de cet esclavage, « afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux. » (2Co 5,15) « Aujourd’hui, ce salut peut arriver à ta maison » si tu te laisses inciser par le regard de la miséricorde.