Mc 12, 38-44
La matrice du don
Par le Père Pierre ABRY,
Assis dans le temple, Jésus « regardait comment la foule mettait de la petite monnaie dans le Trésor, et beaucoup de riches en mettaient abondamment. » Le lepton, jeté au trésor correspond à notre « monnaie jaune » de 1, 2, 5 cents ou plus. A la sortie du temple du supermarché, une boîte transparente les recueille pour une bonne cause, nous gratifiant d’un sentiment diffus de bonne action, mais de fait, nous débarrassant de ce menu fretin accumulé qui encombre notre porte-monnaie… Pour le panier de quête, même traitement et même bonne conscience. Mais à traiter ainsi la main tendue d’un pauvre, la seule pensée de la honte que susciterait en nous son regard nous est insoutenable…
Serions-nous donc aussi trompeurs et trompés que les scribes, objets si faciles de notre mépris, jouant nous aussi des apparences, préoccupés d’apparaître plus que d’être ? Dès l’origine, l’homme s’est laissé tromper par les apparences « d’un fruit séduisant à voir » (Gn 3,6). Vide de Dieu, il cache sa nudité d’un pagne de feuilles de figuier, condamné à sauver les apparences pour avoir négligé son intérieur.
Le regard du Christ, présent dans le temple de notre intériorité, observant comment nous donnons, ne nous cause pourtant pas la moindre gêne… Alors qu’il « sait ce qu’il y a dans l’homme » (Jn 2,25), lui « Parole Vivante de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, qui pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit ; qui peut juger les sentiments et les pensées du cœur. Aussi, nulle créature n’est cachée devant lui : tout est à nu et à découvert aux yeux de Celui à qui nous devons rendre compte. » (He 4,12) On ne se joue pas de Dieu qui « scrute les reins et les cœurs. » (Ap 2,23)
Comme les disciples, Jésus nous appelle à lui, en ce dimanche, dans le sanctuaire intérieur, pour dévoiler le fond des cœurs. Si des riches versent abondamment de la petite monnaie, c’est sur leur superflu, sur ce qui leur est extérieur qu’ils prennent. Ils ne sont pas atteints dans leur zone de confort ; ils n’ont pas touché au seuil vital où se joue la foi. Ils resteront dans une religion de l’apparence et un apparat religieux. Les deux piécettes de la pauvre veuve seront au bilan comptable du trésor comme une erreur de décimales dont on recherche en vain l’origine. Cependant, dans un acte de foi, « de son indigence, elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. » Littéralement, « de son manque », mais aussi « de son utérus », ce lieu vide, comme en creux pour accueillir la vie, elle a donné tout ce qu’elle avait pour vivre et a accueilli la vie.