Mt 25, 14-30
Le regard de l’amour
Par le Père Pierre ABRY,
Autant qu’un contenu, une parabole révèle au lecteur son propre cœur. Prenons garde à la manière dont nous lisons. Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance. Mais l’expérience du péché conduit l’homme qui se prend pour dieu, à se faire une image de Dieu à sa ressemblance. Le maître bon de la vigne qui rémunère les ouvriers de la dernière heure comme ceux de la première, suscitant la jalousie de ces derniers parce qu’il est bon (Mt 20,16) serait-il devenu un investisseur cupide, qui veille au placement et exige les intérêts, semant la peur dans les cœurs ? Non, la parabole des talents est appel à entrer dans une joie, celle de notre Maître, plutôt que de nous précipiter nous-mêmes dans les ténèbres extérieures, lieu « de pleurs et de grincements de dents » !
Par peur, le serviteur mauvais enfouit son talent en terre et se justifie ainsi : « Seigneur, dit-il, j’ai appris à te connaître comme un homme sévère, rude : tu moissonnes où tu n’as point semé, et tu ramasses où tu n’as rien répandu. » Qui donc a semé en lui une telle image de Dieu ? Qui donc lui fait voir d’un œil mauvais Celui qui est bon, sinon ce serpent, menteur et homicide dès l’origine ? (Gn 3) « La lampe du corps, c’est l’œil. Si ton œil est sain, ton corps tout entier sera lumineux. Mais si ton œil est malade, ton corps entier sera ténébreux. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, quelles ténèbres ! » (Mt 6,22-23)
L’Évangile n’est qu’appel à la rencontre d’un Époux, comme les vierges prudentes ; comme « l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux. Telle est ma joie, et elle est complète. » (Jn 3,29) Plus encore, l’Évangile est appel à être l’épouse du Cantique des cantiques. Je suis un être épousé. Le Seigneur a épousé ma nature, il s’est proportionné à moi pour que je puisse le connaître et ne faire qu’un avec lui. Plus encore, il épouse ma personne. Il pose sur moi le regard de l’amour : « Que tu es belle, ma bien-aimée, que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes. » (Ct 1,15) Son regard me rend beau. Mes yeux en deviennent des colombes : illuminés de l’Esprit Saint, ils voient ma beauté dans les yeux de Celui qui m’aime et la beauté du Bien-Aimé Seigneur. « Que tu es beau, mon bien-aimé, combien délicieux ! » (Ct 1,16). Goûtant et voyant sa bonté, j’entre dans sa joie. « Et je te verrai en ta beauté et tu me verras en ta beauté ; et tu te verras en moi en ta beauté et je me verrai en toi en ta beauté. Et je paraîtrai toi en ta beauté et tu paraîtras moi en ta beauté » (St Jean de la Croix). Hors de cela, tout n’est que mensonge, erreur, pleurs et grincements de dents.