Lc 23, 35-43
L’occasion fait le bon larron Par le Père Pierre ABRY, La solennité du Christ Roi de l’univers clôt l’année liturgique. Toute la vie de Jésus est annonce et avènement du Royaume de Dieu. Cependant, il détrompe Jacques et Jean qui se voient déjà siéger à ses côtés : « Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Rien de tel parmi vous. » (Mt 20, 25) La royauté du Christ n’est ni pouvoir, ni condescendance qui renoncerait à son exercice légitime pour faire grâce. Elle est d’un autre ordre. « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude. » (Mt 20, 28) Pilate avait mené lui-même l’interrogatoire : « Tu es le roi des Juifs ? – Mon royaume n’est pas de ce monde. – Donc tu es roi ? – Tu le dis, je suis roi. » (Jn 18) C’est en croix que le Christ trône. Au-dessus de lui, l’inscription rédigée en trois langues : « Celui-ci est le roi des Juifs. » (Lc 23,38) Aux grands prêtres suggérant qu’il aurait fallut écrire : « Cet homme a dit : Je suis le roi des juifs », Pilate répond de toute son autorité : « Quod scripsi, scripsi – ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. » (Jn 19,22) Tu ne croyais pas si bien écrire, Pilate ! Un crucifié couronné d’épines, raillé par les passants, entre deux larrons dont il est venu partager le sort, manifeste la véritable royauté, le pouvoir de triompher du mal par l’amour : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23,34) Loin de s’entendre comme larrons en foire, pour les deux acolytes du Crucifié, l’heure n’est plus à la kermesse mais à la réalité, aux conséquences des actes. La même souffrance conduit l’un à l’ultime violence du désespoir, le blasphème ; l’autre à confesser son iniquité en présence du Juste et à implorer. Emblématiques de l’humanité entière, larronnesse dès la Genèse, les deux larrons ne sont que les lardons des premiers larrons, Adam et Ève, qui ont voulu accaparer ce qui leur aurait été accordé en don : devenir comme Dieu. Ils se sont crus dieux, décidant eux-mêmes du bien et du mal, s’appropriant la création en expropriant le Créateur. Ainsi de nous. Aussi, « pour nous, c’est juste, nous payons nos actes », même si dans une moindre mesure. Car si nous avions ce que nous méritons, ce serait pire encore. L’agonie humaine, sociale et environnementale a sa cause en l’homme et dans le mal auquel il laisse prise en son cœur. Notre insoumission révoltée au réel, à la nature des êtres et des choses, ajoute à notre condition de larron celle de blasphémateur. A chaque instant cependant, l’Arbre de Vie portant le Crucifié est au milieu de nous, offert comme un « aujourd’hui tu seras avec moi » dans un Éden de communion. Seule cette occasion fait les bons larrons, jusqu’à ce que Christ soit tout en tous, qu’il règne en nous et entre nous. |