Lc 15, 1-32
Prodigue de l’amour du Père
Par le Père Pierre ABRY,
On la dit parabole du fils prodigue qui a dilapidé tous ses biens, mais elle est tout autant parabole du Père prodigue, débordant de miséricorde. Aussi, avant toute lecture édifiante, il convient d’y discerner le Christ, Fils Prodigue qui manifeste la prodigalité du Père. « Vous connaissez, en effet, la libéralité de notre Seigneur Jésus Christ, qui pour vous s’est fait pauvre, de riche qu’il était, afin de vous enrichir par sa pauvreté. » (2 Co 8,9)
Le Prodigue réclame la part d’héritage, l’« ousia » qui lui revient. Avant le patrimoine, le terme grec désigne ce qui est en propre à une personne, son être, sa substance. Le credo confesse le Fils de même « ousia », « consubstantiel » au Père. L’évangile de Jean en renvoie de multiples échos : « Je suis dans le Père et le Père est en moi. » (14,11) « Moi et le Père nous sommes un. » (10,30) « Tout ce qui est à moi est à toi, et tout ce qui est à toi est à moi. » (Jn 17,10) Le Christ donc, « de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. » (Ph 2,6-7) Exilé sur notre terre, « lointaine » de Dieu, où l’on vit dans l’inconduite et garde les porcs, il y a « dissipé » tout l’amour du Père aux pécheurs qui n’en veulent pas. « Rentré en lui-même » par la mort sur la croix, il ouvre pour nous la voie : « Je me lèverai – entendons d’entre les morts – et je retournerai vers mon Père. »
La vie du patriarche Joseph déjà l’avait annoncé. Arraché aux profondeurs des geôles d’Égypte, pharaon « lui mit à la main son anneau, le revêtit d’habits de lin et lui passa au cou le collier d’or. » (Gn 41,42) Le Fils Prodigue, vêtu de notre chair en lambeaux, dépouillé de tout, revient pour se recevoir à nouveau du Père et nous avec. L’étreinte du Père dans l’Esprit Saint le revêt du premier vêtement perdu par Adam, d’une chair ressuscitée transparente à l’amour, pour entrer dans le banquet de la communion.
L’évangile ne présente pas un idéal moral. Le modèle serait alors le fils ainé, observateur zélé de la Loi, qui prétend au salut en récompense à son attitude servile, mais ignore l’amour. Non, l’évangile est prodigalité du Père qui rencontre l’homme en sa pauvreté. L’héritage, l’« ousia » divine nous est offerte. « Tout ce qui est à moi est à toi. » Elle ne s’approprie, ni ne se revendique, mais s’accueille. Qui y prétend comme un dû ou l’usur-pe comme une proie, sort par là même de la condition filiale et se retrouve nu, dépouillé comme un fils d’Adam. Mais heureux ceux qui, pauvres et pécheurs entrent en eux-mêmes. Sur le chemin de l’intériorité, ils trouvent le Fils, prodigue de l’amour du Père, qui les a précédés. « Des chemins s’ouvrent dans leur cœur. » (Ps 83,6)