Jn 10, 27-30
Reconnaître la voix
Par le Père Pierre ABRY,
Bon Pasteur, le mot est usé ; de l’entendre, on ne l’écoute plus. Étrangers à la réalité qu’il désigne, l’imagination de chacun le remplit de représentations sentimentales. Faudrait-il dès lors, dans cette lettre paroissiale tirée de mon moulin, troquer pour La chèvre de Monsieur Seguin, l’Évangile vivifiant du Bon-Pasteur ? Non ! L’Évangile n’est ni conte moralisateur ni savoir, mais rencontre d’une personne reconnue à sa voix.
« Je suis le Bon Pasteur. Mes brebis écoutent ma voix, je les connais et elles me suivent; je leur donne la vie éternelle. » Prenons la parole à rebours, pour tenter d’entendre la voix. « Pasteur » désigne celui qui garde le troupeau, le conduit, mais aussi, on l’oublie souvent, le nourrit. Les italiens dont le « pasto », le repas, ne saurait déroger à la « pasta » déclinée sous toutes ses formes et sauces, ne pensent pas trouver le Pasteur si proche à leur table… Le psaume 23 chante le Pasteur qui « apprête devant moi une table face à mes ennemis ». Au demeurant, c’est de cela qu’il s’agit : conduire l’homme à une expérience de satiété dont le pasto, le « re-pas » dont on se « re-paît » n’est que le signe : satiété par l’aliment qui donne vie ; satiété du cœur dans la communion de la table partagée. Combien plus lorsque le Pasteur lui-même se fait repas et aliment, pain de vie éternelle dans l’eucharistie !
Pour atteindre à cette satiété, plénitude de vie éternelle, encore faut-il commencer à « suivre » le Pasteur. « Vous étiez égarés comme des brebis, mais à présent vous êtes retournés vers le pasteur et le gardien de vos âmes. » (1 P 2,25) Et comment « retourner », d’un retournement qui soit conversion ? Comme Marie-Madeleine, connue, aimée et appelée par son nom. « Jésus lui dit : « Marie !« Se retournant, elle lui dit : « Rabbouni ! » » (Jn 20,15) Un autre aurait dit Marie, cela n’aurait rien produit. Ce n’est donc pas la parole « Marie » qu’elle a entendue, mais la voix qu’elle a écoutée ; voix du Ressuscité dans le jardin où elle l’avait enseveli ; voix du Bien-aimé dans le jardin du Cantique des Cantiques ; voix du Père qui dès le jardin de la création cherche l’homme : « Où es-tu ? » Si Isaac avait écouté la voix plutôt que de se fier au toucher et à la parole, il aurait reconnu Jacob (Gn 27,22). Si plus qu’une parole, concept à appréhender par le toucher de l’intellect, tu entendais la Voix qui t’appelle, reconnaissable entre toutes, dont certaines voix humaines t’ont donné le timbre, lorsque tu as été appelé par ton nom, aimé pour toi-même, alors tu reconnaîtrais le Pasteur dans sa bonté, Parole d’amour du Père, portée par la Voix l’Esprit. « C’est le Seigneur ! » reconnaît Jean, le disciple que Jésus aimait.