Mt 5, 1-12
Béatitude des Béatitudes
Par le Père Pierre ABRY,
Les premiers dimanches du temps ordinaire nous font parcourir le Sermon sur la montagne, cœur du christianisme. Il peut être entendu comme une utopie irréalisable ou un moralisme insoutenable. Revenons donc sur son ouverture, les Béatitudes. Car c’est bien de béatitude qu’il s’agit, et non de « bravitude » gauche et moralisante ! Gardons-nous aussi de tout relent doloriste, lorsque nous entendons Jésus déclarer heureux, ceux qui sont frappés par ce que le monde qualifie de malheur.
Jésus est souvent présenté comme le nouveau Moïse qui, sur le Mont des Béatitudes donne la Loi nouvelle. Ce n’est pas faux, mais loin d’être juste. Jésus ne donne pas une loi, il annonce un bonheur ! Il n’est pas un porte-parole, mais la Parole même faite chair. Le crescendo des Béatitudes proclamées est celui de sa vie. Il s’est fait pauvre, de sa naissance à Bethlehem, à sa mort de persécuté, crucifié sur le mont Golgotha. Entre les deux, sa vie publique a révélé la douceur du Père, son affliction devant la misère et le péché de l’homme, sa soif de le justifier, sa miséricorde envers lui. Cœur pur voyant Dieu en toute chose, Christ est le véritable artisan de paix entre les hommes et avec le Père. Il est la Béatitude, le bonheur « durable », la vie éternelle offerte à l’homme mortel.
Dans l’économie de ce monde, le moteur de la croissance soutient et alimente le mythe du progrès, au détriment du bon sens, de la justice, de la paix et de toute miséricorde, dans une négation de la nature des choses et de notre propre nature. La réalisation des individus se fait souvent aux mêmes conditions, dans une recherche de plaisirs éphémères et consuméristes, plutôt que d’un bonheur durable ! Même dans l’économie de notre salut que nous appelons « vie spirituelle », la projection de nous-mêmes se fait parfois dans une violence moraliste à notre nature, dans le déni de sa faiblesse.
« Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux ! » Le Christ fait l’éloge de ta faiblesse, de ta vulnérabilité. Par cette faille entre la béatitude des Béatitudes. Tant que tu ne te sentiras pas, au profond de ton cœur, un pauvre, un nécessiteux, tu seras violent, sec de larmes face à la misère d’autrui, prétentieux de ta justice, sans miséricorde face au péché d’autrui, incapable de voir Dieu en ton cœur obscurci, fauteur constant de troubles et persécuteur. Par ta pauvreté seule, connue, reconnue et acceptée, la béatitude peut entrer. N’y aurai-t-il donc que la vieillesse, la maladie et l’échéance de la mort pour nous rendre enfin pauvres et vulnérables à la grâce et à la béatitude ?