Lc 4, 21-30
Trou noir de la matière grise
Par le Père Pierre ABRY,
Jésus revient à Nazareth, « où il avait été élevé ». On s’attendrait à un bon accueil. Toute bourgade est fière d’un enfant du pays devenu célèbre. On lui dédie une rue, une plaque, un monument. C’est un précipice qui est réservé au Christ ! Certes, il y a de l’enthousiasme à entendre « les paroles de grâce qui sortent de sa bouche ».Mais Jésus ne se laisse pas tromper par l’adulation. « La loyauté a disparu chez les hommes. Entre eux la parole est mensonge, cœur double, lèvres menteuses. » (Ps 11,3) Les Nazaréens sont convaincus de savoir qui est celui qu’ils ont vu grandir au milieu d’eux : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » On peut entendre aussi : « N’est-il pas un fils de Joseph ? », ce Joseph fils de Jacob, que le Seigneur avait comblé de dons, suscitant la jalousie de ses frères qui le précipitèrent dans une citerne ? (Gn 37) Pour qui donc se prend-il ?
Aux noces de Cana, les servants savaient d’où venait l’eau changée en vin, mais seuls les disciples crurent au signe. (Jn 2,9.11) Le prétendu savoir des gens de Nazareth sur Jésus les empêche de le connaitre vraiment. Ce savoir veut appréhender, mettre la main sur la réalité qui de fait lui échappe. Plus encore, ce savoir instrumentalise le réel à son profit : « Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm ; fais donc de même ici dans ton lieu d’origine. » Captifs de leurs raisonnements, accueilleront-il la libération ? Aveugles, recouvriront-ils la vue, par la présence de l’Oint du Seigneur au milieu d’eux ?
« Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. » (Jn 1,11) Dans nos vieilles terres de chrétienté aussi, il avait grandi. Il était chez lui, chez nous, Lui, « la Vie, la Lumière des hommes qui brille dans les ténèbres. » (Jn 1,3-4) Mais depuis que nous nous éclairons au Siècle des Lumières, autant dire à la lumière ténue du siècle, nous le poussons hors de la ville, pour le précipiter de l’escarpement du doute systématique où notre ville est construite. Érigé en méthode par le Discours de Descartes, le crible du doute récuse tout héritage et toute transmission. Ses émules en religion, apôtres de la démythologisation, repoussent la vie et transmission ecclésiales, qualifiées d’écran à leur recherche désespérée du « Jésus de l’histoire ». Récemment encore, une célébrité jésuite prétendait « faire remonter son témoignage à Jésus, en deçà de l’enseignement de l’Église et en deçà de la tradition chrétienne ». Décidément, Jésus est parfois en bien mauvaise Compagnie. Qui plus que les Nazaréens ont fréquenté le Jésus de l’histoire, sans jamais reconnaître le Fils de Dieu. « Passant au milieu d’eux, allait son chemin. » Les chiens aboient, la caravane passe. En disciples, emboîtons le pas au Christ vers sa Pâque.