6ème Dimanche de Pâques Année C

Jn 14, 23-29

Amnésie ou anamnèse eucharistique

Par le Père Pierre ABRY,

     Un serveur Microsoft est un centre de données ; la « stube » et son poêle était un foyer de mémoire. L’ère numérique a multiplié les potentialités de stockage et de communication des données, mais modifié profondément aussi la structure de notre être. Jamais on n’a autant enregistré et si peu fait mémoire ! La mémoire s’évalue en méga-, giga- et térabits sur nos ordinateurs, et après 70 ans en GIR (Groupes Iso-Ressources), en degrés de perte d’autonomie et de mémoire dans nos maisons de retraite. Les séniors perdent la mémoire immédiate, les jeunes la mémoire lointaine. Altzeimer nous gagne tous, dégénérescence neuronale chez les uns, spirituelle chez les autres.

     « Le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout… » L’Esprit n’instruit pas, formatant l’intelligence comme un disque dur ; il enseigne, « in-segnare », marquant l’intérieur, comme le sceau laisse son empreinte dans la cire. Il ne sauvegarde pas des données en un clic de souris, il sauve des personnes, façonnant patiemment en elles, par sa grâce, l’image du Fils unique. Par sa puissance, la parole prend chair en celui qui la garde, à l’image de la Vierge Marie qu’il a prise sous son ombre.

     « L’Esprit vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit », entendons : « Il vous fera faire anamnèse ». L’anamnèse n’est pas tournée vers le passé, évocation d’un souvenir révolu. La mémoire s’enrichit de sens et de présence dans l’anamnèse des événements vécus et leur transmission. Nous les voyons avec plus de clarté et de densité dans l’anamnèse, que pris dans l’immédiateté vécue. Combien plus l’anamnèse eucharistique qui condense le mystère de la foi : « Nous proclamons ta mort Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire. » Présence du Ressuscité qui porte à son véritable sens le passé, l’anamnèse ouvre à la plénitude à venir déjà présente. Aussi, les évangiles ne livrent pas la compilation d’une prise de notes, mais l’anamnèse, œuvre de l’Esprit, présence du Ressuscité. « Quand il ressuscita d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela, et ils crurent à l’Écriture et à la parole qu’il avait dite. » (Jn 2, 22). « Je m’en vais, et je reviens vers vous » dit Jésus. Il s’en va pour que vienne l’Esprit promis. Par l’Esprit qui enseigne et fait faire anamnèse, il revient, plus intime encore, se faisant « une demeure en nous ». Par ce même Esprit, il vient en ceux qui accueillent et gardent la parole annoncée par les apôtres de tous les temps.