Lc 9, 28-36
Transfiguration à l’œuvre
Par le Père Pierre ABRY,
Le carême donne une conscience aiguë de la condition de l’homme, qui a laissé le jardin d’Eden de la communion avec Dieu, pour le désert de la tentation. Tentation du pain dans la recherche frénétique d’une satiété consumériste ; tentation du refus d’entrer dans le réel de son histoire ; tentation des hautes montagnes du pouvoir des idoles de ce monde. Trois tentations qui « les épuisent toutes ». (Lc 4,13) Au cœur du carême, la Transfiguration révèle la nature intime du Christ que le disciple est appelé à partager.
Tentation des idoles et de leur pouvoir ? Contrairement à Satan, Jésus porte Pierre, Jacques et Jean sur la haute montagne du Tabor, non pour leur promettre « le pouvoir et la gloire des royaumes de la terre » (Lc 4,6), mais leur révéler la gloire lumineuse de sa vie filiale. La voix du Père révèle son identité profonde : « Celui-ci est mon Fils, l’Élu, écoutez-le. » Car, « à ceux qui l’accueillent, il donne pouvoir de devenir enfants de Dieu. » (Jn 1,12)
Tentation du refus du réel et de mettre Dieu à l’épreuve pour qu’il change notre histoire, nous dispensant de la souffrance inhérente à notre condition ? Sur le Tabor, « Moïse et Elie apparus en gloire parlaient avec Jésus de son Exode qu’il allait accomplir à Jérusalem. » Désormais, l’Exode est accompli. « Le Christ, notre Pâque, a été immolé » (1Co 5,8) Une transfiguration filiale et pascale est à l’œuvre, au cœur même de notre nature humaine assumée par le Christ. « C’est lui qui conduit dans le sein du Père. » (Jn 1,18)
Tentation du pain ? « Quand la voix eut retenti », le désignant comme le Fils, l’Élu, « Jésus resta seul ». Moïse et Elie, la Loi et les prophètes apparaissent dans leur véritable gloire, le Christ. Désormais, Il n’y a plus que Lui, écoutez-le. « Shema Israël ! Écoute Israël ! » Toutes les Écritures ne parlent que de Lui. Le disciple « ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Dt 8,3) Cette Parole a pris visage humain en Jésus. Lorsque nous demandons que nous soit donné « aujourd’hui le pain de ce jour » (Lc 11,3), c’est lui que nous demandons, Christ, le « Pain véritable » (Jn 6,34).
Le carême nous réveille de notre torpeur, comme les trois disciples, pour nous faire entrer dans la nuée. L’écoute patiente et amoureuse de la Parole en fait un pain nourrissant, pour vivre notre existence comme un exode pascal vers le Père. La transfiguration filiale à l’œuvre, irradie déjà notre quotidien. « Le même Dieu qui a dit : « Que des ténèbres resplendisse la lumière », est Celui qui a resplendi dans nos cœurs, pour faire briller la connaissance de la gloire de Dieu, qui est sur la face du Christ. » (2Co 4,6)