Lc 9, 11-17
Le pain de la satiété
Par le Père Pierre ABRY,
« Jésus parlait aux foules du règne de Dieu et guérissait ceux qui en avaient besoin. » Le suivent, les assoiffés de vérité, les blessés de la vie. Le suffisant et l’indemne n‘en sont pas. « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, le Royaume des Cieux est à eux… » Jésus accueille cette foule bigarrée, il ne la renvoie pas. Il ordonne même aux disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! » Les nécessités des uns et l’incapacité des autres conduisent Jésus à manifester qui il est. Il ne peut être venu pour porter seulement un enseignement, fut-il nouveau et guérir quelques langueurs et maladies. Ni gourou, ni guérisseur, il est le Messie, le Christ annoncé, l’avènement du Royaume au milieu de nous.
En ses mains, les cinq pains, les cinq livres de la Torah sont multipliés et donnés à la foule des hommes, non plus comme une loi imposée de l’extérieur, mais comme un aliment intérieur, nourrissant, un pain de vie dans notre exode vers le Père. De même pour le poisson, « ictus » en grec, anagramme de « Jésus, Christ, de Dieu le Fils, le Sauveur » dont les premiers chrétiens ont fait leur symbole. Les deux poissons, comme la double mesure sabbatique de manne (Ex 16,22), sont signes du véritable repos dans l’amour du Père qui pourvoie. Les Douze apôtres, figure du nouvel Israël, distribuent le don qui les dépasse à une foule assise en petites communautés, « par groupes de cinquante environ ». « Ils mangèrent, ils furent tous rassasiés et il en restait… »
Au fil des siècles, les mêmes foules viennent à Jésus pour trouver remède à leurs maux, ou s’émerveiller de son enseignement. Paul y discernait « le Juif qui demande des signes et le Grec en quête de sagesse. » (1Co 1,22) Aujourd’hui encore, le casting est identique. Notre occident cependant semble plus cérébral que religieux. S’il admire le message, il en reste à la fascination de l’intellect. L’homme de la raison réduit la vie à ce qu’il pense de la vie, à ses conditions de vie. Il en devient incapable de vivre la vie, de la goûter. Il reste sur sa faim et ne connaît aucune paix. Pour l’intelligence, la réalité reste extérieure, objet d’analyse ; le cœur seul donne d’y entrer et de la savourer.
Dans le Sacrement du Corps et du Sang du Christ, lui-même se donne en nourriture. Il passe par l’aliment, les apôtres, et les petits groupes de cinquante. Là il se donne, s’accueille, se partage et se multiple pour conduire à la satiété de sa présence. La petite communauté en devient Celui qu’elle reçoit, Corps du Christ, sacrement de sa présence. C’est offert à goûter aux cœurs affamés, non à disséquer aux esprits inquiets.