Lc 10, 1-12. 17-20
Satan détrôné
Par le Père Pierre ABRY,
Après 12 apôtres, voici que Jésus envoie 72 autres disciples « en tout lieu où lui-même devait aller. » Peu de chose, dès les débuts, au regard de l’abondance de la moisson des nations. L’envoyé n’est pas le maître, il le précède, comme le Baptiste « prépare le chemin du Seigneur. » (Mc 1,3) Et pourtant, l’envoyé fait déjà ce que fera Jésus lui-même, guérissant l’homme. Refuser l’envoyé, c’est rejeter celui qui l’envoie. Autant que dans sa dépravation sexuelle, c’est dans ce rejet des envoyés que réside le péché de Sodome.
« L’Agneau de Dieu qui enlève LE péché du monde » désigné par Jean-Baptiste (Jn 2,19) envoie ses disciples « comme des agneaux au milieu des loups » avec pour seule mission d’annoncer la paix et la proximité du Royaume. « L’Agneau égorgé » (Ap 5,12) remportera la victoire sur le monde violent. Saul le pharisien, violent entre tous, retourné par la douceur de l’Agneau qu’il persécutait, en devient l’apôtre Paul, envoyé à son tour aux nations païennes. Il affirme « porter dans son corps les marques des souffrances de Jésus. » (Ga 6,18) En effet, « nous portons partout et toujours, en notre corps, la manière de mourir de Jésus, pour que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre corps. » (2Co 4,10)
Les disciples sont envoyés dans un dénuement radical de moyens et sans défense. Ils se distinguent ainsi des zélotes armés de tous les temps. Tout régime politique, religion ou système qui recourt à la force, la violence, la contrainte ou la manipulation, se révèle par là-même satanique. Il est un satan qui usurpe la place de Dieu dans le ciel de l’homme.
Les 72 reviennent « tout joyeux » de l’œuvre d’évangélisation. « Même les démons leur sont soumis ! » Jésus déclare : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair. » En effet, l’annonce de la Bonne nouvelle du Royaume détrône Satan de la place qu’il a usurpée en l’homme. C’est bien pour cela que le Christ a pris notre chair et l’a vécue comme un agneau : pour enlever LE péché du monde, le refus de Dieu en l’homme. A ce refus qui l’a cloué en croix, il a répondu : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34), ils sont trompés par l’Usurpateur. Désormais, « tout sera remis aux enfants des hommes, les péchés et les blasphèmes tant qu’ils en auront proférés. » (Mc 3,28) Mais refuser encore cette manifestation de l’amour de Dieu, c’est pécher sans rémission possible contre l’Esprit Saint. Errare humanum est, perseverare diabolicum. La joie véritable, celle du disciple, naît de l’accueil de cet amour inconditionnel. « Réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »