Lc 14, 1.7-14
La juste place
Par le Père Pierre ABRY,
Invitation chez un chef des pharisiens un jour de sabbat ! Mondanités spirituelles en perspective ! Jésus s’y rend. Il ne mange pas qu’avec les publicains et les pécheurs. L’événement en devient avènement du Royaume des cieux, exprimé en parabole. Une écoute facile et réductrice en tirerait une leçon sur les premières et dernières places, comme la morale d’une fable. Bien plutôt, le secret des cœurs, tant de l’hôte que des convives sont mis en lumière. L’hôte ne fait cas des gens de rien… L’invité, l’est pour sa notabilité, sa notoriété, son honorabilité. En retour, ce dernier est conduit à jauger lui-même sa dignité et sa place. Or, l’idée qu’on a de soi, est la seule grande idée qu’on ait jamais eue…
De toute évidence, à travers l’histoire du salut, Dieu invite au banquet et au sabbat véritables, l’homme « pauvre, estropié, boiteux et aveugle ». L’homme pauvre qui s’est coupé de la source divine de la vie ; estropié qui a perdu l’usage normal de ses membres, et qui chemine boiteux, cahin-caha dans l’existence, sans discerner le bien du mal. Qu’a-t-il à rendre en retour, cet homme ? Rien, si ce n’est la gratitude pour l’amour gratuit. Cependant, il cherche sa place, sa juste place. Il s’évalue, se juge, se soupèse sans cesse. Dans son orgueil, il se surestime en un élan de présomption ; le même orgueil le conduit à se mépriser jusqu’à la dépression. Pire encore, l’orgueil déguisé en fausse humilité le conduit à s’abaisser pour s’élever d’autant mieux. C’est notre condition originelle depuis le péché, par lequel nous avons choisi notre place, plutôt que de la recevoir. Le drame des invités, c’est qu’ils choisissent eux-mêmes leur place.
Adam, voulant monter plus haut est déchu au plus bas, humilié à la condition d’humus. S’il avait reçu sa place comme un don, dans le consentement du cœur à être aimé, à voir dans cette place même l’amour de son Père, il aurait accédé librement à la condition filiale, à la communion vivifiante. Quelle est alors ma place ?
Tu es invité au banquet, aux noces du Fils qui a épousé notre humanité. Tout est disposé à cette fin : « Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. » (Jn 14,3) Consens donc au réel, à la place qui aujourd’hui est la tienne. Ne présume pas de toi-même, prenant tes désirs pour la réalité. A l’opposé, ne te méprise pas, qui que tu sois, quoi que tu aies fait. Accueille la place qui est la tienne, rien que cette place, mais toute cette place. Là, réponds à l’invitation et tu seras « a-justé » au seul Juste. C’est cela, la sainteté.