Mt 6, 1-6. 16-18 Le secret décrypté Par le Père Pierre ABRY, Dans le jardin d’Éden, donnant un nom à toute chose (Gn 2,20), l’homme avait à cœur tout le créé, et tout le créé était en son cœur. Le cœur de l’homme était ce jardin où fleurissait et fructifiait la connaissance du Bien, où Dieu désirait se promener « à la brise du jour » (Gn 3,8), et même « reposer le septième jour. » La connaissance du mal librement choisie a fait du jardin un désert. Banni de sa propre intériorité, l’homme se projette dans le monde extérieur pour tenter de combler le vide intérieur. Il est devenu étranger à Dieu, à lui-même, au prochain pourtant « os des ses os et chair de sa chair », étranger à tout le créé. Après le baptême au Jourdain, Jésus est poussé par l’Esprit Saint au désert pour y être tenté par le diable. Le temps du carême, le baptisé lui aussi est conduit par l’Esprit au désert, au désert de son cœur, assailli par les mêmes tentations qui combattent en lui la filiation divine. Le cœur de l’homme, son espace intérieur est devenu ce désert où il se cache par peur de Dieu et du prochain (Gn 3,10), où règnent convoitise et domination (3,16). Il produit épines, chardons et c’est à force de sueur que nous en tirons un pain qui ne rassasie plus (3, 18-19). Le diable-diviseur s’y fait l’accusateur de Dieu, de nous-mêmes et du prochain : « Si tu es Fils de Dieu » pourquoi souffrir l’insatisfaction ? Donne-toi le pain, la satiété sans entrave ! Pourquoi une existence si grise, une survie ? Que Dieu change le cours des choses qu’il a si mal faites. Le monde et sa gloire m’appartiennent, j’en suis le Prince, « ils m’ont été livrés » (Lc 4,6) depuis que l’homme, en se détournant, a cessé de retourner en action de grâce la création à Dieu. « Je les donne à qui je veux. » Ils sont à toi, si tu m’adores, susurre le Satan. Jésus appelle l’homme, par le désert de son cœur, à faire retour au Père « qui est là, dans le secret », qui « voit dans le secret », qui est « présent dans le secret » (Mt 6,4.6.18.) Le secret, « kruptos » en grec, est la « crypte » du sanctuaire de l’intériorité. Là nous sont données trois ouvertures, le jeûne, la prière et l’aumône. Comme trois vitraux, insignifiants et gris au dehors, ils diffusent à l’intérieur la lumière nouvelle de l’amour du Père, qui donne ses couleurs au créé. Le jeûne, renoncement à remplir le ventre, les yeux, les oreilles sans jamais se rassasier, creuse la faim véritable, et met à l’écoute de la Parole qui la comble. La prière, présence simple et amoureuse à Celui qui est présent, est renoncement à nos prières en forme de listes de courses spirituelles, pour entrer, le cœur ajusté dans le quotidien que donne le Père. L’aumône, la fenêtre ouverte sur le frère, illumine et enrichit le cœur. Que chacun trouve le chemin du désert, l’accès à la crypte du cœur sous la conduite de l’Esprit, pour grandir en vie filiale et fraternelle. |