Mt 18, 15-20 Distanciation sociale ou rapprochement fraternel Par le Père Pierre ABRY, La correction fraternelle du pécheur vise moins le différent entre personnes, que le péché public qui atteint le corps ecclésial, obscurcissant son rayonnement évangélique. Elle naît du mouvement de l’amour fraternel et tend à « gagner » le frère à la communion. Elle perdrait sa consistance, dans un christianisme compatible avec tout ou presque, soluble dans le monde relativiste, où chacun a son opinion, sa vérité et toutes se valent. L’amour fraternel s’y dilue en tolérance, qui tient le pécheur à distance sanitaire, dans une indifférence drapée de vertu : N’est-il pas libre de faire ce qu’il veut ? « Suis-je le gardien de mon frère ? » dirait Caïn (Gn 4,9). La démarche part donc d’un cœur aimant pour rejoindre un cœur blessé, qui souvent s’ignore et s’enferme dans le déni de l’orgueil. Elle suppose le courage du véritable amour, qui dépasse l’hypocrisie du faux respect, refuse de se conformer au « pas de vagues », ne se résigne pas à être spectateur de la dérive d’un frère. Si elle n’aboutit pas, qu’on retourne vers lui avec un ou deux autres. Mais bien souvent, plutôt que de parler au frère de son péché, nous parlons avec les autres du péché du frère ! Couards et lâches seul à seul avec le frère, nous devenons bavards et médisants du frère pour son péché en présence d’autres ! Parler du péché du frère est médire, commérer et juger. Parler au frère de son péché, est miséricorde. Enfin si, ni seul à seul, ni à deux ou trois, le frère ne se laisse reconduire à la communion, « dis-le à la communauté. Et s’il refuse d’écouter même la communauté », s’il s’obstine dans son péché, à avoir raison seul contre tous, « qu’il soit pour toi comme un païen. » Cet homme prétendra avoir raison même devant Dieu au jour du jugement. Sa raison n’est que déraison, bouffie d’orgueil. A quoi bon ? « Ne reprend pas le railleur, il te haïrait » (Pr 9,8) « Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel… » Le Seigneur donne à l’Église de délier, de faire miséricorde, mais aussi de dire avec amour à celui qui, « tout en portant le nom de frère » (1Co 5,11) et ne vit pas comme tel, qu’il se met hors de la communion, s’excommunie. Scandale pour notre société relativiste, qui pourtant ostracise et pratique allègrement les exécutions populaires dans l’arène médiatique. Que de nous ? Ce temps nous fait courir le risque d’être plus attentifs à la pureté rituelle sanitaire qu’à la sainteté de nos vies. Prenons garde de ne manquer à la véritable charité, nous lavant les mains du péché du frère au gel hydroalcoolique de la tolérance, nous masquant la face, nous tenant à distance ! Plus que jamais, nous courrons le risque de « filtrer le moucheron, et de gober le chameau ! » (Mt 23,24) |