5ème Dimanche de carême Saint Joseph Année B

Jn 12, 20-33

L’Heure et sa longue préparation

Par le Père Pierre ABRY,

        Jésus est parvenu à son Heure, l’heure d’être jeté en terre comme un grain de blé, jeté dans la mort, en notre chair, comme en une terre labourée par le soc de la croix ; l’heure d’être semé, germe de résurrection, en notre humanité mourante. Appellerait-il comme un enfant apeuré : « Papa, sauve-moi de cette heure ! » ? Non ! Car « c’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! » Il n’est plus le nourrisson de Bethlehem, l’enfant des places de Nazareth, ou le jeune galiléen. Il est devenu homme. En vue de cette Heure, le reste a été assumé et vécu, comme une préparation lointaine, moyenne et immédiate.

        Préparation immédiate ? L’ultime montée à Jérusalem, librement décidée, pour la Pâque. Préparation moyenne ? Trois années de prédication du Royaume durant lesquelles ses ennemis tramaient l’intrigue. La préparation lointaine, de loin la plus longue et la plus fondamentale, est la vie au sein de la famille de Nazareth. L’adolescent disant « être dans la maison de son Père » dans le temple de Jérusalem, redescend à Nazareth, soumis à son père Joseph, et à Marie sa mère. A Nazareth, Joseph, le père, est l’ombre du Père. A cette ombre se forme l’homme capable d’assumer son heure. Si, « bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance » (He 5,8), c’est de Joseph qu’il l’a appris.

        L’enfant veut la gratification immédiate, l’assouvissement du besoin, la satisfaction du désir. Le père lui, assume la frustration immédiate en vue d’un bien plus grand, encore à venir. Il prend sur soi et sort de soi. Il est capable de souffrir, car l’amour se souffre. Il prépare ainsi le fils à devenir père à son tour, à son heure. Il le prépare à son Heure, heure décisive et ultime qui donne sens à toutes les autres, vécues comme une lente préparation.

        Préparé à Nazareth, Jésus assume son Heure. Il l’anticipe, sans la précipiter. Il y échappe quand ce n’est pas encore l’heure, mais sans la fuir. Quand elle est arrivée, il y entre dans la confiance en son Père, apprise à l’ombre de son Père qu’est Joseph. Il y entre dans un acte d’amour appris du Père et vu à l’œuvre dans le père, acte d’abandon total pour se recevoir d’un Autre. Notre société « adulescente » a tué le Père et le père. L’homme infantile cherche à se donner la vie à tout prix, se condamnant à fuir les heures et son heure. Et quand il ne peut plus se donner la vie qu’il voudrait, il finit par se donner la mort qu’il ne voudrait pas. L’accélération actuelle du temps court-circuite les préparations immédiates et moyennes. Elle appelle, comme une nécessité absolue, à réinvestir la préparation lointaine dans la famille, en y redécouvrant l’ombre du Père.