Jn 6, 60-69
Le seuil de la foi
Par le Père Pierre ABRY,
Au terme du discours sur le pain de vie, un silence lourd de malaise règne dans la synagogue de Nazareth. Parmi les disciples, sur un bruit de fond de murmure, le reproche éclate : « Elle est dure cette parole ! Qui peut l’écouter ! » Littéralement, elle est « sclérosée » cette parole, dure car sèche, inacceptable. Dans l’Église aujourd’hui, le même murmure est perceptible, le même reproche, l’accusation d’un discours sclérosé, incapable d’évoluer et de s’adapter aux exigences modernes. Aujourd’hui comme alors, parmi les disciples, on se scandalise, on butte sur la Parole comme sur un obstacle, et « beaucoup de ses disciples retournèrent en arrière, et ils n’allaient plus avec lui. »
« Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous… Il connaissait, lui, ce qu’il y a dans l’homme. » (Jn 2,24-25) « Il savait depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas. » Il se tourne même vers les Douze, certainement ébranlés eux aussi, tant par la parole que par l’échec de la prédication : « Vous voulez partir, vous aussi ? » Non qu’il souhaite leur départ, mais il les laisse bel et bien libres. La Parole, comme un miroir nous révèle notre intérieur. « Elle pénètre jusqu’à la séparation de l’âme et de l’esprit, et juge les pensées et les intentions du cœur. » (He 4,12)
Ce syndrome de Capharnaüm, qui ne l’a jamais éprouvé en son intérieur, ce malaise face à la Parole ressentie trop dure par le cœur trop mou, indécis, tiède, cherchant à tempérer, à concilier le monde et l’Évangile ? Car l’homme se cherche lui-même en toute chose, dans le monde comme dans l’Évangile. Mais à vouloir concilier l’inconciliable, sous couvert d’adapter, on tombe dans un mimétisme mondain. L’incrédulité s’installe et l’Évangile est troqué pour un christianisme liquide et soluble en tout.
Vivre « selon la chair » signifie n’être disposé à accepter que ce qui est à notre mesure humaine, à portée de nos capacités. Or, « la chair ne sert de rien », elle est incapable d’aller au-delà d’elle-même. « C’est l’esprit qui fait vivre… et les paroles que moi je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. » La parole n’est pas sclérosée, dure, desséchée ; elle est porteuse de l’Esprit vivifiant, elle est « Parole de vie éternelle ». Celui qui l’accueille et y consent, la grâce agissante le porte au-delà de lui-même, à l’impossible. C’est à ce seuil de consentement que commence la foi. « A celui dont la puissance agissant en nous est capable de faire bien au-delà, infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons demander ou concevoir, à lui la gloire dans l’Église et le Christ Jésus. » (Ep 3,20)