Lc 18, 9-14
Miroir ou glace sans tain
Par le Père Pierre Abry
A l’écoute de l’épisode du pharisien et du publicain qui prient dans le temple, immédiatement, c’est-à-dire sans médiation, nous nous cherchons comme en miroir dans l’un ou l’autre, nous nous comparons. Or cette attitude même nous place dans la position du pharisien qui prétend « ne pas être comme les autres hommes, moins encore comme le publicain ! » Bien entendu, notre sympathie va à l’humble publicain, tandis que l’autre nous rebute par sa présomption hautaine et son mépris. Pourtant, nous aussi, nous nous en retournons comme nous sommes venus, nous croyant justes, plus encore justifiés, sans l’être en rien, si ce n’est par nous-mêmes. « Connais-toi toi-même ! » L’antique maxime traverse les siècles. Mais cette connaissance n’est pas « immédiate », elle nécessite des médiations.
Commence donc par « monter au temple », c’est-à-dire à entrer en toi-même. Qu’y trouveras-tu ? Ce que Jésus a trouvé dans le temple de Jérusalem, « une maison de commerce ». (Jn 2,16) Là, le pharisien se tient débout, présentant « en lui-même » ses mérites qui attendent récompense. Là « beaucoup de riches mettent abondamment » de la petite monnaie pour être vus. (Mc 12,41) Là, on prie pour recevoir ; on se compare pour se justifier. Ce n’est là que le parvis du temple, d’où Jésus chasse marchands et changeurs.
Descends plus profond encore, dans le sanctuaire de l’intériorité, où personne ne te voit, si ce n’est « ton Père qui est là dans le secret » (Mt 6,6), pour t’y tenir en sa présence et sous son regard. Que trouveras-tu ? L’indigence de ta condition de publicain, « car tous sont pécheurs et privés de la gloire de Dieu » (Rm 3,23) Là, dans le saint des saints, le péché rencontre la miséricorde, le mondain le visage de Dieu, la légèreté de nos vanités le poids de sa sainteté. Là se donne la rencontre dans la foi qui justifie le pécheur.
Mais, la médiation si souvent manquée, tant elle est évidente, est celle du corps ecclésial. Le sanctuaire de la communauté n’est pas un concept mystique, mais des frères concrets cheminant en disciples du maître. Souvent on en reste, là aussi, au parvis extérieur de mondanités ecclésiales superficielles. Mais si la relation se fait plus profonde, le frère devient un miroir, un vis-à-vis, un visage-à-visage révélateur. Le visage, ce que je ne vois pas de moi-même et que j’offre à l’autre, est trop souvent le péché. Le pharisien bon teint aurait pu voir, dans le miroir au tain d’argent du publicain, son orgueil, sa présomption et son mépris. Il serait rentré chez lui, justifié lui aussi… Mais non, comme derrière une glace sans tain, il voit l’autre sans être vu, le péché de l’autre sans voir le sien.