Jn 6, 51-58
La chair et le sang
Par le Père Pierre Abry,
« Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Non seulement Jésus ne répond pas à la question du comment, mais il réitère et amplifie ce qu’il a dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. » Puis, il accentue encore la formulation : « Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson. » Le scandale des contemporains de Jésus traverse les siècles jusqu’à nos jours.
L’approche hébraïque de la personne humaine est à la fois pragmatique, globale et théologale, mais en aucun cas conceptuelle ou analytique. Pour le sémite, la personne est à l’évidence un tout qui se tient là, présent. Qu’on l’approche par une de ses composantes, la partie sert, par métonymie, à désigner le tout. L’hébreux, c’est à en perdre son latin…
La personne apparait d’abord dans la faiblesse et la vulnérabilité de son être de chair (basar). Basar désigne toute la personne, mais aussi l’humanité entière : « Toute chair (tout homme) est comme l’herbe et sa grâce est comme la fleur des champs. L’herbe se dessèche, la fleur se fane… » (Is 40,6) La chair ne serait que cadavre si elle n’était animée du souffle de vie (nèphèsh) donné par Dieu. « Le Seigneur Dieu façonna l’adam avec l’adamah du sol et il insuffla dans ses narines une haleine de vie, et l’adam devint une nèphèsh vivante (un être vivant) ». (Gn 2,7) Ce composé est aussi désigné par l’expression « la chair et le sang », identifiant sang et nèphèsh. D’où l’interdiction : « Garde-toi de manger le sang, car le sang, c’est l’âme, et tu ne dois pas manger l’âme avec la chair.» (Dt 12,23).
Par l’action de manger et de boire, nous faisons nôtres la substance des éléments que le métabolisme assimile ; ils deviennent « aliments » ; ils alimentent la vie de notre chair. Mais, « la vie n’est-elle pas plus que la nourriture ? » (Mt 6,25) Oui, « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui sort de la bouche de Dieu » (Dt 8,3), de son Souffle vivifiant, de sa Parole vivante. « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube : ma nèphèsh a soif de toi ; après toi languit ma basar, terre aride, altérée, sans eau. » (Ps 62,2)
« Parce que les hommes ont en commun le sang et la chair – entendons, communient ou ont en communion le sang et la chair – le Christ aussi y participa pareillement – entendons y communia … » (He 2,14). Sous le sacrement du pain rompu et de la coupe de l’Alliance, notre chair caduque, notre souffle éphémère communient au Christ ressuscité, sont alimentés à sa Vie par le métabolisme de la foi, participent de sa chair pleinement vivifiée par l’Esprit.