Jn 1, 6-8. 19-28
Des fiançailles aux noces, par les sandales
Par le Père Pierre Abry,
Si le dénouement des scandales dans l’Église excite les gens « curieux de la vie d’autrui et paresseux à corriger la leur » (Cf. St Augustin, Confessions, 10,3), le déliement des sandales dans cet Évangile devrait attiser la curiosité des chercheurs de Dieu. « Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas ; je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale. » Ne s’agit-il que d’humilité ou faut-il chercher ailleurs, plus loin ?
Selon la loi du lévirat, lorsqu’un homme meurt sans laisser de postérité, son frère prendra la veuve pour femme et donnera une descendance au défunt. Il est le « goël », le rédempteur, celui qui rachète. « Le premier-né qu’elle mettra au monde perpétuera le nom du frère défunt ; ainsi, ce nom ne sera pas effacé d’Israël. » Si le frère refuse, « sa belle-sœur s’avancera vers lui, sous les yeux des anciens ; elle lui retirera la sandale du pied et lui crachera au visage ; puis elle déclarera : ‘C’est ainsi que l’on traite l’homme qui ne rebâtit pas la maison de son frère.‘ » (Dt 25,6.9) Ainsi Booz prit pour femme Ruth la moabite, veuve, pour donner une descendance au mari défunt ; il acquit aussi son champ pour perpétuer le nom du défunt sur sa terre. Et « Booz engendra Jobed, qui engendra Jessé, qui engendra le roi David » (Mt 1,5-6) dans la descendance duquel naquit Jésus, le Christ, fils de David.
Tout l’Ancien Testament est comme un temps de fiançailles de Dieu avec son peuple. « Je vais la séduire, je la conduirai au désert, et je parlerai à son cœur… Je te fiancerai à moi pour toujours ; je te fiancerai dans la justice et le droit, dans la tendresse et la miséricorde ; je te fiancerai à moi dans la fidélité, et tu connaîtras le Seigneur. » (Os 2,16. 21-22) La réalisation a surpassé la promesse. En Jésus de Nazareth, Dieu s’est fait chair de notre chair, os de nos os, à notre image et ressemblance. Il s’est fait notre frère pour nous racheter. L’humanité séparée de Dieu, comme veuve et sans descendance, voici que Dieu l’épouse et se fait son Rédempteur. « On ne te dira plus : ‘Délaissée’ ! À ton pays, nul ne dira : ‘Désolation’ ! Car le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra ‘L’Épousée’. Comme un jeune homme épouse une vierge, ton Bâtisseur t’épousera. Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu. » (Is 62,4-5) Jean Baptiste, ultime prophète, « le plus grand parmi les enfants des femmes » (Lc 7,28) entrevoit ce mystère. « L’ami de l’Époux est ravi de joie à la voix de l’Époux. Telle est ma joie, et elle est complète. » (Jn 3,29) Vraiment, « il ne convient pas que je délie la courroie de sa sandale », car il est le véritable « goël », le seul rédempteur. Et pourtant, on le conduira à la porte de la ville, on le dépouillera, on lui crachera au visage sous les yeux des anciens…