Mc 4, 35-41
Chrétiens de la rive ou des eaux profondes ?
Par le Père Pierre Abry,
Appelés à devenir pêcheurs d’hommes, la barque des disciples n’est plus l’outil de travail pour subvenir aux besoins de l’existence précaire, mais lieu d’expérience de la foi, de la vie éternelle, l’Église en gestation. Jésus y est assis et enseigne les foules, bénéficiaires de la plupart de ses miracles et guérisons. Hier et aujourd’hui, nombreux sont ceux qui écoutent la Parole avec joie depuis la rive, sans jamais s’embarquer et avancer en eau profonde vers l’autre rive. Ils ne se mouillent pas, ils ne mouillent pas à la grâce. La Parole leur vient dans les paraboles des événements de leur vie. « Mais, en particulier, Jésus explique tout à ses disciples. » Le Royaume de Dieu, semblable à la semence, croît jour et nuit, sans que le semeur ne sache comment. De l’enseignement donné à tous au grand jour, les disciples passent aux travaux pratiques dans la nuit. « Le soir venu, il leur dit : Passons sur l’autre rive. »
Le début de foi semé doit grandir dans la traversée des eaux et de la nuit, où le déchaînement de la tempête reconduit à un tohu-bohu primordial, vide et informe. Les eaux tombant du haut se confondent avec le soulèvement de celles du bas, comme lors du déluge aux jours de Noé. Jésus est là, présent, « à la poupe, dormant sur le coussin. » Dans l’Église, comme dans le chrétien embarqué, Jésus sommeille lorsque dominent les soucis mondains au point d’étouffer la semence du Royaume. C’est alors chaos, confusion et déchaînement des éléments. Seul le cri de l’humble supplication dans la détresse peut le réveiller.
La Parole qui du néant fait advenir ce qui est, qui sépare la lumière des ténèbres, qui sépare les eaux et fixe sa limite à la mer : « Tu viendras jusqu’ici ! Ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots ! » (Jb 38,11), cette Parole faite chair en Jésus de Nazareth, réveillée par le cri de détresse des disciples, retentit à nouveau : « Silence, tais-toi ! » et la paix se fit. Les disciples sont ainsi préparés à la grande traversée de la nuit pascale. La Parole se fera silence le vendredi saint, dans le sommeil de la mort, mais pour se réveiller d’entre les morts au matin de Pâque, Bonne Nouvelle de notre propre résurrection et de notre paix.
Mais avant notre ultime Pâque vers la rive de résurrection, l’autre rive est tout simplement l’autre, le frère qui t’est donné aujourd’hui dans la barque ecclésiale, pour « passer à l’autre », en aimant comme Christ a aimé. Car désormais les flots de la mort qui en empêchaient sont vaincus. Te contenteras-tu de rester dans la foule anonyme du rivage, des beaux enseignements et des miracles. Pour apprendre à nager, il faut inévitablement lâcher le bord. Pour accueillir le don la foi, il faut s’embarquer dans la barque ecclésiale. Dernier appel pour embarquement avant fermeture des portes !