Mt 28, 16-20
Absence ou présence réelles ?
Par le Père Pierre ABRY,
Nos représentations et notre langage, liés à l’espace et au temps n’aident pas toujours à la compréhension du mystère du Christ, parfois même la faussent. Celui qui, dans la Nativité était « sorti » du Père pour se faire semblable à nous, l’Emmanuel, « Dieu avec nous », retourne au Père à l’Ascension. « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. » Dès lors, nous plaçons ce Père dans un « ailleurs » sinon géographique, du moins distant, transcendant, le ciel. Le Christ retourné vers lui en devient un réel absent. Cela nous convient, pour continuer à vivre notre terre, comme s’il n’y était jamais venu.
Le Christ corrige notre regard, lorsqu’il assure à ses disciples : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » En prenant la condition humaine, le « Fils unique, tourné vers le sein du Père » (Jn 1,18) ne l’a pas quitté. Il est toujours dans le Père et le Père est en lui. (Jn 14,10) Inversement, lorsqu’il passe, avec notre nature humaine, de ce monde au Père, le Christ ne quitte pas ce monde pour un ailleurs. « Je viendrai vers vous… Le monde ne me verra plus, mais vous, vous verrez que je vis et vous aussi, vous vivrez… Vous reconnaîtrez alors que je suis en mon Père et vous en moi et moi en vous. » (Jn 14,18-20) Ni absence, ni délocalisation, c’est une nouvelle qualité de présence, sans limites d’espace et de temps. Présence plus réelle que réelle du Seigneur au milieu de nous et en nous, elle nous donne de vivre notre présence à Dieu d’une manière radicalement nouvelle. « Votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu. » (Col 3,3)
Lorsque le Ressuscité se manifeste aux disciples au cénacle, il ne vient pas d’un ailleurs, situé au-delà des portes, les franchissant comme un Harry Potter. « Jésus vint et se tint au milieu d’eux. » Déjà là, bien présent au milieu d’eux, leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître, comme ceux de Marie-Madeleine au tombeau ou des disciples sur la route d’Emmaüs. Le monde l’a vu dans la chair, mais ne l’a pas reconnu Fils de Dieu. Désormais, le monde, réduisant la réalité à la matérialité, ne le voit plus. Quant aux disciples, ils regardent encore de manière trop mondaine pour percevoir cette présence.
L’Esprit Saint promis donnera de la voir, de la goûter avec certitude, de la lire dans les événements. La fin des temps la rendra manifeste et éclatante. La prière véritable nous donne déjà de vivre en présence de celui qui est pleinement présent.