Mt 3, 1-12 Nos montres ne donnent pas le temps Par le Père Pierre ABRY, Nous sommes en avent, « adventus », temps de la venue du Seigneur à nous. En ces jours-ci, comme « en ces jours-là », l’annonce de Jean retentit : « Convertissez-vous car le Royaume des Cieux est proche ! Préparez le chemin du Seigneur. » Depuis quatre siècles, les prophètes s’étaient tus, jusqu’au plus grand d’entre eux, le Baptiste, « voix qui crie dans le désert. » Il prépare le chemin, puis se taira pour laisser la parole à la Parole. Il est le pivot, le point de bascule de l’Ancien au Nouveau Testament ; un « Copernic biblique » qui ouvre à un retournement complet la compréhension de la réalité : Non, le soleil ne tourne pas autour de la terre, pas plus que Dieu n’est le satellite des désirs et des aspirations religieuses de l’homme. Dieu est à la source, au centre, et à l’aboutissement, « Il est, Il était, Il vient », adventus. Parce qu’il est lui-même ce point de retournement, le Baptiste appelle au retournement, à la « métanoïa », la conversion. Il ne s‘agit pas d’une simple inflexion de la direction de marche, mais d’un retournement complet, qui sous-entend un point d’arrêt. Pour passer en nos vies de l’ancien au nouveau testament, de la promesse à l’accomplissement, de l’annonce à la réalité présente, de l’écoulement du temps à la plénitude du temps, un point d’arrêt est nécessaire. Dans notre course effrénée en avant, seul ce moment où le temps est comme suspendu, rend possible une réorientation complète. Ce point d’arrêt est aussi arrêt pour faire le point et préparer ainsi le « chemin au Seigneur », Lui ouvrir et nous ouvrir l’accès à notre cœur. Le temps, l’ennemi qui aura raison de notre vie est le « chronos » grec, mesuré au chronomètre pour ne pas en perdre une miette ; précieux et couru autant que l’argent. Ce temps qui tue nous oblige à tuer le temps. Il fait courir derrière le mythe du progrès, en constante accélération pour raccourcir les temps, et lui chercher en vain une densité, tant il est vide. Il est pathologie de l’urgence, sans distinguer ce qui l’est vraiment. Il donne l’illusion d’exister intensément, l’ivresse d’accomplir des choses et de vaincre la mort en fuyant les temps morts. La course du temps fait, même de l’avent, un temps des courses, et de Noël un marché de dupes. L’avent nous arrache au temps linéaire qui court de l’avant, au pendant, vers l’après. Il nous ouvre au « kairos » grec, au moment favorable, opportunité à saisir, irruption de l’éternité dans le temps. Il est présent du passé dans la proclamation des prophéties, présent du futur par l’espérance de leur réalisation, présent du présent car le Seigneur vient. Autrefois, le ralentissement naturel lié à la saison hivernale prédisposait à cette épiphanie de l’éternité au plus intime. La frénésie moderne requiert une véritable ascèse pour s’y ouvrir. |