Jn 4, 5-42
Le bonheur est dans le puits
Par le Père Pierre ABRY,
Dans les Écritures, nombre de rencontres nuptiales se font à la margelle du puits. Moïse fuyant Pharaon, y rencontra Çippora au pays de Madian (Ex 2,15). Leserviteur d’Abraham déjà, en quête d’une épouse pour Isaac, y trouva Rebecca (Gn 24). Jacob, fuyant son frère Ésaü s’éprit éperdument de Rachel au puits où elle venait abreuver le troupeau (Gn 29). La pierre sur la bouche du puits était si lourde qu’on attendait que tous les bergers soient réunis pour pouvoir la rouler. Dans la force de son amour pour Rachel, Jacob la roule seul. La tradition rabbinique ajoute que, lorsqu’il eut soulevé la pierre de dessus la bouche du puits, le puits se mit à déborder et monta en sa présence et continua à déborder pendant vingt ans, tout le temps qu’il demeura à Haran.
Nous voilà donc au puits que Jacob a légué à ses fils. Jésus, aux heures de midi, fatigué par sa marche en notre humanité y est assis, alors qu’une samaritaine vient puiser. Brisant les interdits, l’homme, un juif, s’adresse à une femme, de surcroît une samaritaine mécréante. Il lui promet une eau vive, au lieu de l’eau stagnante du puits. « Toi qui n’a rien pour puiser, serais-tu plus grand que notre père Jacob » (Jn 4,11) pour qui les eaux étaient montées d’elles-mêmes ? Jésus renchérit. L’eau vive, l’Esprit Saint qu’il donne, devient en celui qui l’accueille « source jaillissante en vie éternelle ». Loin de s’arrêter de couler à son départ comme pour Jacob, l’Esprit sera donné en abondance quand Jésus remontera vers son Père. Oui, il y a ici plus grand que Jacob. Celui qui, seul, est entré dans le puits et les eaux stagnantes de la mort et au matin de Pâque en est rejailli ressuscité et vivifiant. Seul, il a roulé la pierre du tombeau, trop lourde pour les femmes. Et du tombeau jaillit pour nous la source de vie éternelle, la victoire sur la mort en Christ ressuscité.
Mais pas si vite, nous sommes encore en carême. Jésus renvoie d’abord à la réalité de nos pauvres existences : « Va chercher ton mari. » (Jn 4,16) La femme a cherché la vie dans cinq unions, tout comme nous épousons des causes, des idées ou des intérêts. Dieu, qu’elle croit adorer sur le mont Garizim n’est pas encore son Seigneur, son époux. Comme les rencontres patriarcales aux puits sont en vue des noces, celle du Christ appelle une relation de communion nuptiale avec lui. Adorer en esprit et en vérité, c’est se laisser travailler par l’Esprit, pour épouser la forme filiale du Christ, seule Vérité et trouver dans la volonté du Père l’aliment véritable. Déjà le champ de ce monde blanchit, prêt pour la moisson. Une femme, une samaritaine en est le premier apôtre.