Jn 2, 13-25
Le sanctuaire véritable
Par le Père Pierre ABRY,
Marchands et changeurs ont installé leurs comptoirs dans le temple de Jérusalem en faisant « une maison de commerce ». Jésus connaît l’homme qu’il est venu sauver, sa capacité à pervertir et détourner toutes choses, même les plus saintes à ses propres fins. « Il n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ; lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme. » Et pour cause, il a assumé la condition humaine. Dans ce corps pris de notre chair, il a été conduit au désert et soumis aux trois tentations. On pourrait les reformuler ainsi : « Si tu es fils de Dieu, fais-toi une religion qui mette Dieu au service de l’homme ; qui élimine toute souffrance changeant les pierres en pains ; une religion qui étende le pouvoir de sa paix sur tous les royaumes de la terre ! »
Dans l’épisode des marchands chassés, le Christ ne vient pas tant purifier la religion du temple, qu’indiquer par ce signe, le sanctuaire véritable : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai… Il parlait du sanctuaire de son corps. » Sur le mont Thabor, devant Pierre, Jacques et Jean, il avait laissé transparaître dans ce corps, jusqu’à l’irradier de lumière, le fond de son être, sa condition filiale. De même, dans notre quotidien laborieux, le fond de notre cœur malade et rebelle transparaît en défiguration de l’homme et de Dieu. C’est là que le Christ porte la nouveauté, au cœur. Non pas une nouvelle religion ou une religion renouvelée, que l’homme pourrait instrumentaliser une fois encore à ses propres fins, mais un cœur nouveau. « En Christ habite corporellement toute la Plénitude de la Divinité, et vous vous trouvez en lui associés à sa plénitude. Ensevelis avec lui lors du baptême, vous en êtes aussi ressuscités avec lui, parce que vous avez cru en la force de Dieu qui l’a ressuscité des morts. » (Col 2,9ss) Dans sa Pâque, le Christ recrée l’homme à son image et ressemblance, pour que le croyant célèbre, dans son propre corps devenu temple de l’Esprit, le culte véritable : une vie filiale à la louange de gloire du Père.
L’homme moderne se croit émancipé de toute problématique religieuse. Pourtant, il n’a fait que déplacer la question, restant dans la même logique « religieuse » centrée sur l’homme lui-même. Se revendiquant des Lumières, il n’en est pas pour autant très « éclairé », moins encore transfiguré de lumière. Plaçant la déesse raison dans le sanctuaire, il pense et s’exclame : “JE SUIS”, usurpant la place et le nom de Dieu. Tout ce qui pénètre dans le sanctuaire intérieur doit passer désormais par les changeurs de son intelligence, pour être un commerce raisonnable. Ces comptoirs aussi sont renversés dans la Pâque du Christ.