Lc 24, 35-48
Ouvertures
Par le Père Pierre ABRY,
Les Écritures sont un livre scellé. Paul s’afflige de l’endurcissement de ses frères de race : « Jusqu’à ce jour, toutes les fois qu’on lit Moïse, un voile est posé sur leur cœur. » (2Co 3,15) Le visionnaire de l’Apocalypse se désole et pleure de ce que personne ne puisse ouvrir et lire le « rouleau, écrit au recto et au verso, et scellé de sept sceaux », jusqu’à ce qu’un des Vieillards dise : « Ne pleure pas. Il a remporté la victoire, le Lion de la tribu de Juda, le Rejeton de David ; il ouvrira donc le livre aux sept sceaux. » (Ap 5,2.5) Les Écritures, mais aussi l’écriture de notre histoire nous semble parfois un livre scellé, compilation d’événements sans liens, sens, ni unité. Dimanche après dimanche, Jésus chemine avec nous, disciples d’Emmaüs au « cœur sans intelligence, lent à croire tout ce qu’ont annoncé les prophètes. » Dans l’auberge ecclésiale nos yeux s’ouvrent pour le reconnaître présent, le « cœur brûlant quand il nous ouvre les Écritures » (Lc 24,25.32)
Le terme « ouvrir » utilisé par Luc désigne originellement l’ouverture du sein maternel par le premier-né. Premier-né d’entre les morts, le Ressuscité accouche ses disciples à une réalité nouvelle, jusque-là voilée, dans l’impossibilité de donner sens aux événements survenus. Leur propre existence en est frappée de non-sens. Jésus mets ses pas dans les leurs, se glisse dans leur récit pour en faire un chemin à travers les Écritures. Il les « ouvre » littéralement pour les faire accoucher de la réalité dont elles étaient enceintes : le Christ ressuscité présent, sens de toute l’histoire du salut, sens de l’existence des disciples échoués.
Cette présence reconnue les conduit à retourner dans la nuit même à Jérusalem, pour raconter aux Onze « ce qui s’était passé en chemin, et comment ils l’avaient reconnu à la fraction du pain. » Là encore, alors même qu’ils font le récit de sa présence, le Christ se tient présent au milieu d’eux. Cette fois, il leur « ouvre l’esprit à l’intelligence des Écritures. » L’esprit est accouché à ce qui lui était inconcevable, la réalité de la résurrection du Christ et sa présence. Dans la nuit pascale, le peuple hébreux déjà nous rappelait : « Même si nous étions tous des sages, des intelligences subtiles ou des anciens, nous aurions encore le devoir de raconter la sortie d’Égypte. » En effet, la narration n’évoque pas seulement l’événement, elle le rend présent. A l’annonce du Ressuscité, celui-ci se rend réellement présent au milieu des siens. Cette présence, comme une clé de voûte donne sens et cohésion à toute l’histoire. Elle vient unifier toute mon histoire, dans la multiplicité des événements vécus, en une histoire de mon salut.